SIGRISE

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La complainte de la chatte abandonnée

Chapitre premier

 

« Dis-moi, pourquoi tu es si grise ? »

Je suis grise, tu vois, car je suis en errance,

je traîne ma fourrure depuis plus de quatre ans

dans les rues de la ville. Droit devant moi j’avance.

Je marche pour marcher, j’ai oublié le temps.

Tu comprends Isabelle pourquoi je suis si grise ?

j’erre du soir au matin, et du matin au soir,

je sillonne les rues sans intention précise,

je n’ai pas repère, nulle part où aller.

Sans amour, sans maison et sans apercevoir

de lueur dans ma nuit, que veux-tu que je fasse
à part fébrilement déplacer ma carcasse ?

Les maîtres que j’avais m’ont jetée à la rue,

ils m’ont mise à la porte et ils ont disparu.

Avec les autres meubles ils m’ont déménagée

de leur vie, et m’ont fuie vers d’autres horizons.

Moi leur chatte adorée, leur machine à ronrons,

tout un tas de défauts ils m’ont soudain trouvés :

que je perdais mes poils, que j’étais encombrante,

et ils m’ont plantée là, affamée tremblotante.

Je ne peux pas pleurer car je suis animale

et ne suis pas dotée d’appareil lacrymal,

mais comme l’absence est longue et déchirante

et qu’elle est douloureuse ma vie de chatte errante.

 

Chapitre deux 

Moi, chatte abandonnée dans l’univers immense,

une patte après l’autre, et je suis en partance

vers l’inconnu, un monde hostile et sans amour,

où je suis en détresse un peu plus chaque jour,

mais ou obstinément par gestes mécaniques

je propulse mes pattes sous des regards cyniques.

Je suis la chatte grise, exclue et solitaire,

qui inlassablement sans but et sans bagage,

s’entête à poursuivre ce futile voyage.

Je marche pour marcher, droit devant, sans repère,

percluse de souffrances et de courbatures,

ma peau est lacérée de griffures et d’entailles

mon pelage est râpé et parsemé de tiques.

Je suis la chatte grise, affamée, famélique,

qui n’a plus ni collier, ni puce, ni médaille,

qu’on repousse du pied si elle s’aventure

sur les perrons lavés de trop jolies demeures.

Je suis la chatte grise valétudinaire,

qui implore vos cœurs avec ses beaux yeux clairs

et à qui l’on concède l’aumône dérisoire,

celle qui vous dérange, et hante de ses peurs

vos vies millimétrées, celle qui tous les soirs,

au crépuscule, à l’heure où tous les chats sont gris

se dit : encore une nuit à traverser l’errance

à errer seule dans le spectre de la nuit

à transpercer ce manteau noir, cette béance

de ténèbres infinies, cet obscur désert aride,

jusqu’à l’orée du jour où sonnent les matines,

qui me trouvent endormie près des poubelles vides

avec au coin des yeux une larme féline.

Chapitre trois

Dans les quartiers huppés la nuit est éclairée

Par de beaux réverbères à la lumière blême.

Comme un insecte attiré par la lumière,

je traverse les rues, dépasse la frontière,

et à pas de velours, je traîne ma bohème

jusque dans ces contrées que je sais interdites.

C’est là ma distraction, mon piteux petit rite

que ce pèlerinage sur les lieux du passé.

je déambule honteuse, je foule des allées

propres, bien éclairées, un rien aceptesées

et m’y sens mal à l’aise, offrant aux yeux critiques

ma minable fourrure ornée de quelques tiques.

Je respire soudain ces odeurs du passé,

tout me revient dans un parfum de madeleine :

la chartreuse d’antan, si grise et provocante,

à la robe de soie, à l’allure de reine

féline, superbe et même flamboyante,

qui matait les matous avec ses yeux dorés

lorsqu’ils étaient coquins ou bien trop empressés.

Les fragrances d’une bouffée d’air d’antan,

du temps où j’étais belle ou j’avais du panache,

vient délicieusement titiller ma moustache.

J’en emplis mes poumons, respire, suspends le temps,

et rebrousse chemin, car je me sens pouilleuse,

consciente que la rue m’a transformé en gueuse,

et que mon look détonne dans cet univers chic,

où sont en harmonie les seuls chats domestiques

que j’étais avant. Avant que l’on ne m’abandonne

Avant que je n’appartienne plus à personne,

quand je n’avais pas de puces dans ma toison

Au temps où j’avais encore une maison.

Je suis la chatte grise, q’ on évite et qu’on fuit,

désormais reléguée, mise au ban, et bannie.

SIGRISE , je perpétue mon chemin de hasard,

je souffre tellement qu’on me trouve bizarre,

qu’on me traite souvent de façon discourtoise

si bien qu’au fil du temps, je me désaprivoise.

Je rebrousse chemin, contourne les échoppes,

pénètre dans la ville ancienne et interlope,

m’éloigne de ce quartier chic et toc enluminé

et retourne à celui des chats abandonnés,

bien plus sombre, un peu glauque, nauséabond

squatté par les sans demeure, les vagabonds.

J’y croise bien souvent une fille de joie

Qui toujours me caresse. Les putains ont dû bon ;

un grand cœur qui se cache dans ces filles des rues,

De la chaleur humaine et c’est là leur vertu

je la laisse passer sa main embagousée

sur mon pelage épars, un peu d’humanité

de douceur, un peu moins de rudesse,

pour la chatte déchue, errante, et affamée

qui n’a plus ni parure, ni puce, ni collier.

Je poursuis, mon errance m’éloigne de la pute

Et mes pas de velours me conduisent à la butte

Dans le nouveau quartier près  à de la Place aux herbes

Où je vais retrouver avec d’autres minettes

La bande à Chevelu, le plus doux, le superbe

Il était Romeo on était ses Juliettes.

 

Chapitre quatre 

Ma Sigrise je te vois devant moi, sous mes yeux

Chaque jour te détendre, aller de mieux en mieux

Cette maison te plaît, tu veux la découvrir,

tu explores ses coins et miaule de plaisir

Tu fais de petits bruits car tu es très bavarde

Et moi je plonge dans tes beaux yeux verts

t’observe prendre confiance, baisser ta garde

et sentir que ton cœur s’est enfin entre-ouvert.

Ainsi tu évolues souvent voluptueuse

parfois encore craintive. Tu alternes les pauses.

Ton humeur n’est pas stable mais encore sinueuse.

Sereine par moment ton esprit  se repose

et par moment inquiète, tu es sur le qui-vive

tu pars, tu vas dehors dans la nuit, tu t’esquives.

Oui je vais errer mais pas comme au temps jadis

Où je vivais ma vie au bord d’un précipice.

J’erre certes mais dans mes terres, mon jardin, ma terrasse,

respirer des odeurs maintenant familières,

la pelouse, le lilas ou les roses trémières.

Je déguste le goût de mes retrouvailles

avec la paix. J’erre, mais que jusqu’au portail,

Je médite,  j’écoute le temps qui passe

J’erre mais dans les parages, dans les alentours

de ma maison, dans mon périmètre d’amour.

 

 

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